La démocratie au lycée
BALLION (Robert)
ESF Éditeur, Collection Pédagogies, 1998

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De par la thématique développée, qui intéresse directement les CPE engagés au quotidien sur la question démocratique, de par un certain nombre d'analyses historiques et philosophiques fines du fonctionnement des lycées et de l'institution dans son ensemble, et de par la place qu'il fait aux CPE, reconnus comme membres à part entière de l'équipe éducative formée avec les chefs d'établissements et les enseignants, ce livre trouvera sans doute aucun sa place dans toute bibliothèque de CPE, ou dans celle d'étudiants préparant le concours. Cet ouvrage se penche sur la mutation qui se produit en ce moment au sein de nos lycées, qui deviennent peu à peu « de vrais lieux de travail collectif où, plus ou moins aisément, s'effectue l'apprentissage de la citoyenneté » (quatrième de couverture).

Dans cette optique, la première partie du livre va évoquer les rapports complexes et historiquement évolutifs qu'entretiennent l'école et l'individu. Son premier chapitre va situer la réflexion de l'auteur par rapport à cette problématique générale en montrant en particulier comment la question des rapports de l'institution scolaire avec ceux qu'elle scolarise est centrale dans toute analyse de l'école. De plus, selon l'A., les divers états de la relation usager-école peuvent s'analyser au travers de quatre figures (idéal-type) qui renvoient à autant d'étapes de l'évolution de ladite re lation : chacune de ces figures est ainsi une étape, mais chaque nouvelle figure n'élimine pas pour autant les précédentes, avec lesquelles elle est amenée à cohabiter dans une logique d'hétérogénéité qui traverse le monde scolaire contemporain. Ces figures, qui feront l'objet des quatre chapitres suivants, sont celles de l'usager contraint, de l'usager abstrait, de l'usager averti, et de l'usager actif.

(Ch. 2) L'usager contraint est celui de l'école traditionnelle, depuis l'Ancien Régime jusqu'à celle des IIIème et IVème Républiques, où l'élève (mais aussi ses parents) se trouve dans une situation passive, voire soumise, vis-à-vis de l'école. Cette relation, bien que déséquilibrée, était relativement acceptée d'abord parce que l'on pouvait se soustraire assez tôt à la contrainte scolaire, et ensuite parce que celui qui la subissait en retirait des effets bénéfiques. Ce type de rap ports école-usager existe toujours, et est repérable en particulier lorsque l'on s'interroge sur la partie de la relation entre l'institution et ses usagers qui n'est pas d'ordre contractuel, mais réglementaire, au sens où tout un ensemble de prescription ne vient que de cette institution. L'autonomie réelle de l'élève, en théorie considéré comme un acteur doté de la capacité de choix, est ainsi toute relative, d'autant que l'école dans son ensemble a tendance à considérer qu'elle est un espace qui peut être dérogatoire à la loi générale de la cité, et ce au nom des intérêts supérieurs de l'Éducation - on pensera par exemple à l'interdiction du droit de manifester. Bien entendu, cette situation " d'administré assujetti " (p.22) persistante peut être cause d'arbitraire, les rapports de pouvoir étant manifestement déséquilibrés.

(Ch. 3) Cet usager contraint (l'élève comme individu soumis) est remplacé dans les représentations, à partir des années 50, par ce que l'on peut nommer un usager abstrait, qui est aussi le citoyen d'une démocratie représentative. Un glissement se fait en effet à ce moment qui concerne, d'une part, le passage de l'idée d'institution à celle de service, d'autre part celui du concept de devoir (se laisser éduquer) à celui du droit (avoir droit à l'éducation), le présupposé général sous-jacent à ces repositionnements étant que cet usager est d'abord aussi un citoyen, au sens où il ne vise son intérêt personnel qu'au travers de la poursuite de l'intérêt général, et ce par " une action collective reposant sur les principes démocratiques de représentation et de délégation de pouvoirs " (p.25). Ici, il s'agit bien d'un rapport civique qui remplace un rapport de soumission. La présence de cette figure est toujours réelle aujourd'hui, en particulier dans le recours symbolique qu'elle permet face à des velléités (parentales par exemple) plus individualistes qui tendraient à ne vouloir faire retenir que des intérêts particuliers. Ces recours, d'ailleurs, sont souvent le fait de chefs d'établissements, dont Ballion souligne ici le rôle essentiel, en particulier en ce qu'ils sont à la fois les principaux " utilisateurs " de cette idée d'usager citoyen, et les seuls à être en mesure d'en faire émerger la réalité, cette émergence permettant par ailleurs la mise en ordre de l'établissement et sa cohérence face aux intérêts divergents de ceux qui y travaillent (élèves et personnels).

(Ch. 4) L'usager abstrait sera pour sa part remplacé peu à peu par l'usager averti et stratège, repéré aussi comme " consommateur d'école ". Cet usager, dont la figure émerge au début des années 80, est cette fois centré uniquement sur son propre intérêt, et développe des stratégies à même de lui permettre de voir aboutir ses ambitions sociales. Il privilégie l'action individuelle, et se dégage de l'institution en ne n'y soumettant plus, et en perdant tout sentiment d'obligation vis à vis d'elle dans le temps même où il l'interroge sur son rendement. L'A. se penche ici sur la manière dont les différentes stratégies scolaires s'élaborent, sur les raisons qui fondent (et les formes que prend) ce désengagement institutionnel, et sur la manière dont les familles vont prendre un plus grand poids dans l'école afin que cette dernière puisse être utilisée dans leurs stratégies sociales. Il souligne comment cette demande consumériste, au moins, a eu (et a encore) le mérite de contraindre le système éducatif à réfléchir à son évaluation. Les conséquences induites par ce rapport consumériste à l'école sont également analysées, l'étude de Baillon montrant que les familles (et, plus particulièrement, les familles les plus proches de l'univers scolaire - enseignantes par exemple) mettent en œuvre quatre ordres de pratiques qui montrent leur implication dans la scolarité de leurs enfants : elles commencent à faire appel à des auxiliaires éducatifs et à des enseignements complémentaires, elles tentent de choisir leur établissement scolaire, et elles n'hésitent plus à recourir à l'enseignement privé conçu alors comme solution de repli et/ou de complément. Cet élève usager-consommateur, on l'aura compris, est aussi le reflet de la société dans laquelle il évolue, et qui fonctionne selon les mêmes logiques consuméristes et individualistes.
La conséquence directe de ce qui précède est que l'école n'a plus de justification " en soi ", mais qu'elle doit toujours d'abord prouver qu'elle est nécessaire. Partant, pour perdurer, et pour que l'usager accepte sa condition, l'école doit essayer de faire appel, le plus possible, à une nouvelle figure d'usager impliqué dans la production et la gestion de sa propre situation .

(Ch. 5) L'analyse se penche ensuite sur l'élève comme usager actif, citoyen d'une démocratie de proximité. L'A. montre que l'école évolue de l'organisation vers la communauté, et que son rôle, pour des motifs économiques (d'une part, crise économique faisant que les élèves restent plus longtemps scolarisés parce que le marché de l'emploi est moins accueillant ; d'autre part, évolution de la demande économique qui fait que l'on recherche des gens de plus en plus diplômés) et sociaux (" évolution générale de la société), se déplace de l'instruction vers l'éducation, l'idée sous-jacente étant aussi que c'est l'immersion plus que l'enseignement qui permet l'apprentissage de l'acteur social et du citoyen.

Cette évolution, qui recompose les rapports entre les acteurs de l'école, est visible au niveau des textes officiels (l'élève au centre du système de la loi de 1989), et au niveau des pratiques et des échanges relationnels, qui font de plus en plus place à des relations qui sont plus humaines que strictement fonctionnelles. Parallèlement, on peut constater tout un mouvement d'affirmation de l'individu au détriment des logiques plus structurelles : le sujet est reconnu, et invité à exister en tant que tel dans l'école. Les changements toutefois, selon Baillon, s'ils sont fondés sur de réelles volontés d'évolution démocratiques, sont aussi dans le même temps une manière de parvenir à redonner à l'école sa légitimité afin de lui assurer une possibilité de fonctionner encore.

La seconde partie de l'ouvrage entreprend de se préoccuper quant à elle de l 'élève dans sa réalité contemporaine : puisque l'école a effectué sa révolution copernicienne, et qu'elle se centre de plus sur les élèves qui ne son t pas nécessairement acquis par avance à sa cause, il faut " s'interroger sur ce que sont, ce que pensent et veulent ces jeunes que l'appareil scolaire ne peut plus ignorer. " (p.70). Son premier chapitre se penche sur les termes " jeunes " et " adolescents " en en analysant la cohérence sociologique, et en montrant comment cette terminologie tend à unifier des réalités beaucoup plus complexes et hétérogènes. (Ch. 2) En recoupant un certain nombre de sondages de deux périodes différentes, l'A. va entreprendre d'analyses les désirs, les craintes et la vision du monde des lycéens, en tentant de voir si les lycéens évoluent entre 1982 et 1996. Si l'ensemble des positionnements des interrogés reste stable, on peut toutefois relever deux évolutions fortes : la première concerne la baisse de la confiance dans la valeur sociale du diplôme, qui n'apparaît plus nécessairement comme une valeur sure. La seconde concerne la nature des relations entre les adolescents et les jeunes, et ceux qui les prennent en charge dans leur scolarité : les lycéens rejettent une école standardisé qui les ignore comme personne et sujet. Le portrait qui s'ébauche ici est celui de jeunes lucides, qui mettent en avant l'importance de la vie professionnelle, sont hautement individualistes et peu réformistes - leur attitude étant d'utiliser au mieux et d'aménager les possibilités existantes plutôt que de tenter de transformer le monde. L'auteur avance l'hypothèse selon laquelle la démocratisation de la vie lycéenne est un moyen de permettre aux jeunes de réinvestir le monde La troisième partie va traiter de la démocratisation de la vie lycéenne entamée en particulier depuis les mouvements de 1990, de ses manifestations et de ses conséquences. (Ch. 1) La visée démocratique peut s'incarner, au nive au des lycées, à trois endroits : dans le contenu des programmes, où la démocratie va être enseignée ; dans la manière d'enseigner, qui peut proposer aux élèves un modèle de démocratie ; et dans le fonctionnement même de l'établissement scolaire. L'A. va analyser successivement ces trois aires de démocratisation de l'espace lycéen, en montrant les conséquences et les limites de cette démocratisation, et en insistant plus particulièrement sur le concept de " vie scolaire ", spécifiquement français, et qui sépare le pédagogique de l'ensemble des autres domaines de prise en charge de l'élève. Ballion montre comment toute tentative de démocratisation du fonctionnement des lycées se heurte au frein que peut être l'immuabilité de l'acte pédagogique, et que la création même de la " vie scolaire " peut être lue comme une manoeuvre de protection de l'aire strictement pédagogique, qui peut ainsi renvoyer à d'au tres personnes et d'autres espaces la charge d'une démocratisation que le pédagogique refuse en fait de prendre en compte ou d'effectuer. Toutefois, l'espace de la vie scolaire est bien celui où peuvent déjà se réaliser concrètement des avancées démocratiques.

(Ch. 2) Les évènements de 1990 marquent un tournant dans la manière dont les lycéens et leurs problèmes sont abordées par les services publics, sans doute parce que cette crise et sa résolution ont un enjeu sociétal (maintien de l'ordre public, voire du contrat social). La crise de 1990 était prévisible, en particulier parce qu'elle trouve ses racines dans la brutale massification du système éducatif, et dans l'hétérogénéité croissante des publics accueillis, qui induit un nécessaire - et douloureux - changement de nature du lycée. Ces éléments croisent de plus une crise des banlieues alors à son maximum, et voient apparaître également la thématique par la suite récurrente de la violence à l'école.

Ballion se penche sur ce concept de violence, et sur la manière dont cette dernière est prise en charge dans l'institution scolaire. Il analyse la réalité des actes de violences dans l'école, qui restent objectivement marginaux, et montre comment cette notion est utilisée comme écran appliqué de plus en plus largement (jusqu'à concerner les incivilités), et qui permet " d'occulter un certain nombre de faits désagréables et de désengager la responsabilité de ceux qui voient leur action professionnelle perturbée par elle " (p.157). De plus, le fait de voir partout de la violence, et de vivre dans l'angoisse perpétuelle de son éventuelle manifestation, finit par mettre en place les conditions même de son apparition. En tous les cas, ce concept a eu (et a) au moins des effets mobilis ateurs puisqu'il fait partie des éléments qui sont à la base de la réponse institutionnelle forte qui suit la crise de 1990.

L'auteur revient ensuite sur les composantes du plan d'urgence de 1991, traite des engagements financiers de l'époque, et des différents conseils (conseil des délégués, CAVL, etc.) qui permettent aux lycéens de s'exprimer, en soulignant l'importance du dispositif de la délégation dans l'apprentissage et la mise en place de la démocratie dans les lycées, et en mettant à jour les freins que sont l'absence du temps dont disposent les lycéens pour s'ancrer dans ces dispositifs (mandats d'une année), et les effets négatifs que ce type d'engagement peut avoir pour l'élève dans son quotidien de lycéen (confusion entre la personne et son rôle ; absence de gratifications même symbolique ; difficultés à s'engager tout en suivan t une scolarité normale). Les droits reconnus aux lycéens en 1991 font ensuite l'objet d'analyses.

Or donc, la démocratisation n'est laissée à se développer que dans la périphérie de l'acte pédagogique : on pourrait penser alors qu'elle n'atteint pas ce dernier. La quatrième partie, à partir d'une enquête menée dans les lycées, va montrer qu'il n'en est rien.

(Ch. 1) L'ouvrage compare la manière dont élèves, enseignants, CPE et proviseurs voient leur lycée comme lieu de vie et de travail, et comme espace relationnel. L'enquête porte également sur ce que chacun attend du lycée (formation, affirmation du sujet, vie sociale) : il apparaît que les usagers du lycée sont globalement satisfaits de ce dernier comme espace de vie, et un peu moins comme lieu de formation et espace d'affirmation du sujet.

(Ch. 2) Etude de la manière dont les droits des lycéens trouvent à s'exprimer dans leurs lycées. Baillon montre que le climat relationnel général des lycées s'améliore du fait de la reconnaissance même partielle de ces droits à l'intérieur des lycées, et par les différents acteurs éducatifs. Si les élèves n'ont toujours pas la possibilité de gérer réellement leur scolarité, ils compensent cela en s'investissant plus dans la relation aux personnels éducatifs et enseignants, qui leur reconnaissent par ailleurs plus d'autonomie.

(Ch. 3) L'analyse porte à présent sur les différents types d'établissement, et sur la manière dont leur " composition " va influer sur leur fonctionnement plus ou moins démocratique : il semble que, plus le lycée a de bons résultats au bac (et est donc de facture plus traditionnelle et accueille un public plus protégé), plus les relations élèves-profs sont confiantes, et moins les enseignants orientent spécifiquement leurs pratiques dans le sens d'une autonomie des élèves, la vie démocratique étant toutefois la plus développée de fait dans ces lycées. A l'inverse, les lycées " populaires " voient nombre d'efforts pédagogiques se développer dans le sens de la démocratie, sans que les résultats réels soient nécéssairement à la hauteur des efforts fournis, les structures démocratiques n'étant au final pas investies par les élèves, et les relations à l'intérieur des établissements tendant à être moins détendues que dans le cas des lycées " bourgeois ".

Conclusion : il apparaît que les lycéens d'aujoud'hui ne s'expriment pas massivement pour une " co-gestion " de leur éducation, dont ils laissent les rênes aux prof essionnels qui les encadrent, et qui leur semblent seuls compétents en la matière. Ils se désengagent ainsi du domaine pédagogique, comme du fonctionnement institutionnel de l'établissement. A l'opposé, on constate une demande forte, de la part des lycéens, pour qu'existent des relations de qualité entre élèves et adultes des établissements, et c'est ainsi qu'il faut comprendre les évolutions démocratiques du système éducatif, qui prend en compte ainsi une demande émanant directement des élèves, pour lesquels le démocratique commence par le relationnel. L'auteur souligne par ailleurs que cette marche vers la démocratie trouve d'autant plus de relais chez les adultes qu'elle se fait en douceur, et qu'elle est d'autant moins menaçante qu'elle ne menace pas directement ce qui reste la spécificité des professionnels de l'éducation.

On remarquera pou r conclure que la reproduction des inégalités se retrouve aussi au niveau de cet accès à la démocratie : les élèves qui travaillent dans les établissements les moins favorisés, et qui sont eux-mêmes les lycéens les moins favorisés, sont ceux qui ont le moins accès à cette démocratie naissante, les inégalités sociales et scolaires s'accompagnant au final d'inégalités politiques et citoyennes.

Notes de lecture de l'ouvrage publiées ailleurs : Les Cahiers Pédagogiques N° 367/368, oct/nov. 1998, P. 77 Sciences Humaines N° 87, octobre 1998, P. 50 http://www.cahiers-pedagogiques.com/pages/Liv2.htm

Daniel Bourrion, CPE Lycée Alfred KASTLER 55 - Stenay

 

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