Sociologie de l'expérience lycéenne
Par Francois Dubet, Olivier Cousin, Jean Philippe Guillemet

Revue Française de pédagogie, Janvier à Mars 1991.

Qu'est ce que | Les publics des lycées | L'élève et l'école

 


Cet article présente de manière succinte une étude menée sur l'expérience lycéenne [...]. Il s'agit d'une intervention auprès de 8 groupes dans des lycées hiérarchisés (de grand lycée à Lep de banlieue). En plus : 100 entretiens d'élèves et 40 d'enseignants. Population nullement représentative mais pouvant être considérée comme rendant une image assez vraisemblable.

L'élève a souvent été réduit à sa carrière et aux facteurs qui la fixaient. Sans rejetter les travaux antérieurs, on peut dire que cela entranait une sorte de conformité. Dans la mesure ou le système scolaire se diversifie et se massifie, [...], dans la mesure ou les stratégies et les projets sont multiples, il importe d'étudier l'expérience scolaire des élèves eux mêmes. But : savoir quel acteur se fabrique dans l'école et comment.

1 - Qu'est-ce que l'expérience lycéenne ?

De manière dominante, les conduites des élèves, leur choix [...] sont concus comme l'expression d'une socialisation attachée à une position sociale. L'élève est porteur d'un "habitus" de classe plus ou moins proche des attentes culturelles et des modèles de rôles latents proposés par l'institution scolaire. L'espace de l'expérience scolaire est défini comme la rencontre d'une culture socile, d'une culture de classe et d'une culture scolaire. Le problème de la massification [...] se ramène principalement à la confrontation de nouvelles attentes et dispositions avec le modèle culturel scolaire proche de celui des classes dominantes. Dès lors il apparait que l'on ne peut considérer l'élève comme un acteur social, du fait de la détermination par le jeu des positions sociales. Contre cette théorie, vient s'opposer celle de l'élève agent économique face à la rareté des biens, l'élève est un stratège qui optimise ses investissements et ses coûts. Ici alors, la fonction de l'école [...] est raménée à un principe d'intéret le plus souvent passé sous silence.
Ces 2 théories peuvent être associées à 2 ages différents de l'école : la première considère l'école comme organisée autour d'un modèle culturel central et dominant; la seconde conçoit l'école comme 1 série de filières, carrefours. Mais ces 2 théories ne sont pas les seules : modèle de la nouvelle sociologie anglaise (interractionnisme symbolique et ethnométhodologie : Forquin). Cette théorie s'appuie sur l'analyse des interactions dans la classe, notamment maitre-élève.

L'idée d'expérience scolaire suppose que l'on ne considère pas seulement l'élève comme un individu mais comme un acteur construisant ses choix et ses stratégies. Plusieurs dimensions : celle du projet (rapport d'utilité, défaut percu comme quasi pathologique), celle de l'organisation ( la rencontre avec le projet se noue autour de la sélection et de la performance), et enfin celle de la culture ( intéret culture, affectif avec le 'maitre' ou purement intéréssé).

Dès que l'on délaisse le 'petit monde des héritiers', l'expérience scolaire apparait alors plus diversifiée, plus chaotique et plus diverse. Plus l'on séloigne du coeur du système scolaire [...] plus il devient nécessaire d'étudier l'expérience scolaire car l'école y apparait alors comme un système nettement moins unifié.L'acteur se trouve obligé de construire son expérience, ne pouvant plus se laisser porter par les lois du système ou ses seul intérets stratégiques.

2 - les publics des lycées

  • Bons élèves des bon lycées : Le style héritier semble résiduel même s'il reste au centre des représentations. la plupart de ces élèves entretiennent un rapport plus instrumental et plus tendu envers leurs études. inscrits dans une sorte de destin scolaire et d'obligation familliale de réussite, les études se présentent comme un jeu ou les risques de pertes sont plus élevés que les gains. Le projet scolaire est étroitement lié à la carrière scolaire elle même. Il se cree une tension constante entre les gouts affirmes et les filières. On passe en C pour être un futur bon littéraire. Cela entraine un rapport très utilitariste aux études. Ainsi les lycéens se présentent comme des entrepreneurs efficaces de leurs études. Ils refusent de s'engager au dela du necessaire. d'apres eux, leur formation personnelle, l'éducation, passe par un prof hors du commun et par la vie juvénile possible au lycée. Les clans existants dans toute classe, forment les vies personnelles et intellectuelles. Cela est net car les lycées ont de grandes difficultés d'intégration de leurs élèves. Le lycée est percu comme un espace bureaucratique de liberté ou finalement on a beaucoup d'espace pour s'épanouir, on est loin du lycée caserne. Le probléme est qu'il est tropo percu comme peu contraignant, on y fait le strict necessaire, le reste étant consacré à la vie juvénile.
  • Les nouveaux lycéens : élèves des sections défavorisées, dont les parents ont fait peu ou pas d'études, bref le plus gros. Le paradoxe est que ces élèves sont sur une voie ascendate de mobilité sociale, surtout pour les jeunes issus de l'immigration, mais qu'ils sont souvent en chute scolaire. Agés, de scolarité chaotique, ils se sentent dévalorisés et piégés par le 'système'. Leurs enseignements, bien que concrets, sont largement dévalorisés, parfois par les professeurs eux-mêmes. Ils sont ainsi tentés d'opposer la vie réelle et concrête à l'abstration des études. Souvent travaillant pour leur argent de poche par ailleurs, le diplôme, bien que nécessaire et ils le savent, reste un investissement peu rentable. Eloignes de l'intéret intellectuel, peu capables de développer des stratégies efficaces, ils se percoivent comme fortement dépendants des enseignants. et de leurs personnalités. La vie juvénile se développe fortement dans ces établissements, malheureusement hors de la vie intellectuelle et culturelle de la scolarité.
  • Les élèves de LP : La première ligne de fracture oppose l'enseignement général et l'enseignement professionnel. Le professionnel cultive une tradition de relation pédagogique : silence exigé etc... au contraire de l'atelier ou la liberté est fortement présente. Quelles que soient leurs performances, les élèves ne surmontent jamais totalement cette dualité. Le second clivage oppose les BEP au CAP. Les premiers publics, les plus durs socialement, trouvent dans le lycée professionnel un prolongement de leur quartier, bande etc.. Ainsi les LP abritent une population d'élèves qui n'a pas d'espoir de mobilité et pour laquelle l'école n'engendre souvent que l'échec. Les autres ont l'impression de s'en sortir, et sont placés au sommet du système d'enseignement professionnel.
    Ainsi, l'expérience scolaire des élèves de LP apparait elle comme tendue entre ces 2 pôles constitués par une sociabilité juvénile mal enserrée dans le cadre scolaire et une formation professionnelle accordée à une élite. On pourrrait ainsi dire que le LP oscille entre le traitement social du chômage et la formation de professionnels qualifiés.

3 - l'élève et l'école

  • La massification engendre une diversification des filières et, ainsi, une hiérarchisation de ces sections. Le parcours de l'élèves est jalonné de points de bifurcation, points au cours duquel le système évalue les performances et sélectionne. A cette hiérachie se superpose une hiérachie des établissements. Mais la sélection est aussi nettement clarifiée par la valorisation de certaines matières. Quand aux procédures de sélection elles sont vécues de manière brutale et autocratiques.
  • Le processus de sélection engendre une très nette séparation entre le souci d'éfficacité scolaire et l'intéret intellectuel. La productivité supplante le reste. C'est ainsi que la fraude et la 'pompe' sont des stratégies tout à fait acceptables aux yeux des élèves.
  • Le trait dominant de l'expérience scolaire est la séparation de la personnalité et de l'école. L'école ne constitue plus une instance de socialisation. Cependant les élèves se plaignent d'avoir des libertés et non des droits, car cela rend floue et arbitraire la confrontation avec l'administration. Mais d'un autre coté les élèves ne s'investissent pas dans leur lycée car la vraie vie est ailleurs. Ainsi l'école ne forme plus des acteurs sociaux mais de simples individus : trois raisons majeures : - l'école a détruit son image égalitaire en devenant sélective, - l'école n'a plus le monopole de la culture légitime, - l'école s'adapte de plus en plus à la société et ne propose plus ainsi de culture légitime à l'instar de la société.
  • Cette présentation sommaire laisse de coté certains thèmes : les débordements lycéens, la relation pédagogique..
  • Ainsi les jeunes vont à l'école pour en user et en abuser, mais on ne peut juger l'école comme en crise car elle adpate peut être tout simplement à des mutations sociales et culturelles de notre société. Et ainsi elle légitime ses actions.

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