Tel est le titre du dernier livre de Philippe Meirieu écrit en collaboration avec Marc Giraud. L’échec scolaire et son effet sur les conditions d’insertion, le développement des actes de violence et d’incivilité et son effet sur les relations entre les membres de la communauté scolaire, le développement des intégrismes, etc. sont autant de problèmes importants qui mettent en avant un déficit d’éducation. Philippe Meirieu prend donc le risque de dépasser le stade des critiques et des analyses, et de proposer un nouveau projet pour l’école. Une école obligatoire de 3 à 16 ans et une école qui ne se soucie pas de formation professionnelle et qui n’oriente pas prématurément les élèves dans des filières spécialisées. Cette école doit aussi avoir comme finalité déclarée de rendre possible la vie démocratique en n’excluant aucun enfant de cet apprentissage essentiel. Pour permettre ce dernier, Philippe Meirieu assigne deux objectifs indissociables à l’école : l’acquisition d’une culture commune et la construction de la loi. Nous vous proposons ici des extraits significatifs sur chacun de ces points.
L’acquisition d’une culture commune
Le terme de “ culture ” est fondamental car il marque la volonté de
sortir d’un simple empilement de savoirs et de savoir-faire ; il faut que
tous les adolescents, au terme de l’école obligatoire, aient accédé à la
compréhension de notre histoire et des enjeux fondamentaux de notre société
; qu’ils sachent lire une fiche de paye, mais aussi qu’ils comprennent
la différence entre le travail salarié et le travail au noir, entre le salariat
et toutes les formes d’esclavage et d’économie souterraine. Qu’ils
puissent utiliser une calculette, mais aussi qu’ils sachent pourquoi les
hommes ont inventé les chiffres, qu’ils connaissent l’histoire des
chiffres arabes et la genèse du calcul en base dix ! […]
Si l’on veut reconstituer ce lien social qui nous fait défaut aujourd’hui,
il faut remonter ensemble, professeurs et élèves, aux questions fondatrices
des savoirs et resituer ceux-ci dans des interrogations aussi vieilles que l’histoire
de l’homme, des questions communes qui fondent une irréductible ressemblance,
celle qui nous différencie de l’animal. […]
Dans un quartier difficile, un professeur fait étudier à ses élèves, pour la
plupart musulmans, un texte extrait de La Trêve de Primo Levi. C’est l’histoire
d’un enfant de trois ans né à Auschwitz, abandonné de tous, paralysé des
deux jambes, “ qui n’avait jamais vu un arbre et dont le minuscule
avant-bras portait un tatouage d’Auschwitz ”. Cet enfant est muet.
Chacun, dans le baraquement, essaie de le faire parler en l’amusant, en
le traînant comme un bébé. Seul un adolescent de quinze ans, qui lui parle comme
un adulte, va obtenir un mot de lui et engager un impossible dialogue quelques
heures avant sa mort.
Ces jeunes musulmans, parfois intégristes et antisémites, découvrent à dix-huit
ans l’existence des camps d’extermination. Quand le professeur leur
demande un travail écrit, près de la moitié de la classe choisit de rédiger
une prière à Allah pour que plus jamais, nulle part, un tel sort ne soit fait
à un enfant.
Le professeur a pu leur montrer que chrétiens, juifs et musulmans sont traversés
par le même débat entre foi et raison. Ils ont compris que notre culture française
avait emprunté aux trois religions et qu’il était nécessaire d’entendre
cette complexité.
Ailleurs, des classes primaires, en milieu rural, travaillent sur “ l’air
et le vent ” : expérimentations scientifiques, constructions techniques
de moulins et cerfs-volants, mais aussi, et indissociablement, approche poétique,
travail sur les mythologies… Pourquoi le vent a-t-il fasciné les hommes
au point qu’ils en firent des dieux, aussi bien en Grèce qu’en Chine
ou au Mexique ? Pourquoi la Bible parle-t-elle de “ souffle divin ”
et dit-elle que “ le vent souffle où il veut ” ? Comment définir cette
chose étrange, invisible en elle-même et visible seulement par ses effets ?
N’y a-t-il pas d’autres choses aussi insaisissables ? Les interrogations
s’enchaînent, les questions fusent, les enseignants racontent d’ancestrales
histoires et les enfants écrivent ensemble contes et poèmes. […]
Seule une culture commune, articulée aux questions essentielles qui préoccupent
les hommes peut parvenir à les relier entre eux dans le respect de leurs spécificités.
Les savoirs scolaires sont à resituer dans cette perspective : leur contenu
doit permettre aux hommes de “ faire société ” et la manière de les
acquérir permettre aux enfants d’accéder à la loi fondatrice : le refus
de la violence.
En finir avec l’apartheid scolaire : aux uns les savoirs utilitaires, aux autres la culture abstraite
[…] Contrairement à ce que l’on pourrait croire, des élèves de banlieue
montrent plus d’intérêt pour l’étude difficile du grand prêche d’Urbain
II, lançant en 1095 la première croisade, que pour le portrait du dernier rappeur
à la mode dans Libération. Mais, pour enseigner Urbain II, il faut un travail
pédagogique montrant en quoi les croisades sont enracinées dans une vision du
monde dont nous sommes encore porteurs. Trop d’enseignants imaginent
que le portrait du rappeur sera plus facilement accessible… Les “
mauvais ” élèves détestent qu’on leur fasse sentir leur échec en leur
proposant des exercices au rabais. […]
Quel mépris pour les “ mauvais ” élèves de réduire l’enseignement
qu’ils reçoivent à des formes dégradées de “ ’économie sociale
et familiale ” (aujourd’hui rebaptisée “ vie sociale et professionnelle
”) ! Quelle bêtise de les condamner à lire seulement des modes d’emploi
d’appareils électroménagers et de leur apprendre à soigner des entorses
pendant que les “ bons ” accèdent à l’histoire, la littérature,
la philosophie, à Mallarmé, Racine ou Voltaire ! Deux catégories de citoyens,
pareillement handicapés : ceux qui ne peuvent pas dépasser le concret et le
quotidien, et ceux qui ne font jamais le rapport entre leur culture et la vie
pratique.
La vraie culture ne sépare pas les activités matérielles de celles qui les inscrivent
symboliquement dans une histoire et une communauté. Nous ne mangeons pas seulement
pour des raisons biologiques, mais aussi parce que le repas est un rituel de
partage codifié qui permet d’incarner une communauté. Une fiche de paye
n’est pas seulement un outil technique de comptabilité, c’est aussi
le résultat de luttes historiques qui durent encore aujourd’hui. Châteaubriand,
ce n’est pas seulement une vieillerie littéraire qui permet de caser quelques
belles citations dans une dissertation, c’est aussi l’expression d’une
adolescence exacerbée où la révolte se fait désir de mort. Maupassant, ce n’est
pas seulement le moyen de briller en société, c’est aussi l’occasion
de penser la question, lancinante chez tant d’adolescents, de la paternité.
[…]
La construction de la loi, des interdits qui autorisent
Car voilà ce qui bloque fondamentalement le fonctionnement de l’école
: les rapports humains y sont régis par la force, la séduction ou la violence,
et il n’existe pas, entre les élèves, les enseignants et leur administration,
de véritable contrat négocié, accepté, reconnu pour son caractère formateur.
Quels propos se tiennent dans une salle des professeurs ? “ Tenir ”
la classe, “ mater ” les fortes têtes, “ s’imposer dès les
premiers cours ”, “ tenir la dragée haute aux élèves ” ou les
“ subjuguer ”… “ Une classe, c’est comme un cheval,
elle doit tout de suite comprendre qui est le maître, sinon c’est elle
qui prend le pouvoir et on ne peut plus rien en faire… ”.
[…] Il faut des interdits pour faire fonctionner l’école, comme toute
autre institution : d’abord l’interdit de la violence, puis un ensemble
d’autres interdits qui lui sont rattachés et qui l’incarnent dans
des situations particulières. L’adulte n’a pas à se culpabiliser quand
il impose des règles. Rien n’est plus ridicule, aux yeux des élèves eux-mêmes,
que les tentatives des éducateurs pour expier leur position en se situant comme
des grands frères sympathiques qui ne se permettraient pas de poser clairement
des limites. Irresponsable, cette attitude est intenable car les élèves s’engouffrent
dans les brèches ainsi ouvertes et s’appliquent à déstabiliser une personnalité
qu’ils reconnaissent très vite comme fragile.
Pourtant, il ne s’agit pas de poser des interdits par caprice ou confort.
Interdire le bruit en classe simplement pour pouvoir “ enseigner en paix
” n’a aucun sens. Un interdit ne vaut que par ce qu’il autorise,
il ne sera respecté que si l’on peut prouver qu’il offre des possibilités
infiniment plus intéressantes et gratifiantes que sa transgression. L’interdit
fondateur de l’inceste, par exemple, est la condition indispensable pour
engager un échange social entre les familles et fonder une société qui mutualise
ses richesses…
En classe, l’enjeu est de montrer que le respect de la loi fondatrice et
des règles de fonctionnement de l’école offre des satisfactions plus grandes
que leur transgression. Et la première de ces satisfactions est précisément
de pouvoir apprendre dans les meilleures conditions possibles, d’oser se
lancer dans une activité nouvelle, de se mettre en jeu… pour “ se
mettre en je ”.
La classe comme espace de sécurité
[…] De trois à seize ans, l’élève doit pouvoir trouver dans l’école
obligatoire les occasions de faire ce qu’il ne sait pas faire, sans craindre
d’être enfermé dans une image négative, prématurément évalué ou ridiculisé
par ses camarades. Faire, chercher, se tromper, évaluer les effets de la méthode
choisie, l’abandonner pour une autre, jusqu’à obtenir le résultat
demandé : cette interrogation permanente sur l’action structure l’intelligence
et construit la personnalité. […]
La construction des savoirs est indissociable de la construction de la collectivité
apprenante. Ceux qui prétendent séparer l’une et l’autre, qui voudraient
ne s’intéresser qu’à la transmission des savoirs sans contribuer à
construire la classe comme lieu de prise de risque intellectuel, de tâtonnements
et de dialogue, ceux – là sapent la possibilité même de l’accès aux
savoirs. […]
Le maître doit garantir la présence exigeante des savoirs autant que l’élaboration
de l’espace de sécurité et d’échange qui permet de se les approprier.
[…]
Le sursis à la violence
Pour réduire la violence, il faut aider les jeunes à réfléchir avant de passer
à l’acte. Mais, pour les barbares, réfléchir c’est se mettre en position
de faiblesse, réfléchir c’est mourir. Donc ils continuent à frapper avant
de penser, et certains ne réfléchissent jamais, ni sur les causes ni sur les
conséquences de leurs agressions…
La seule solution, difficile à mettre en œuvre et qui ne peut l’être
que dans la durée, est d’installer le sursis à l’acte, au centre de
la vie quotidienne de la classe et de l’établissement, au nom d’une
loi sacrée qui interdit la violence. Car, pour pouvoir discuter des règles,
il faut respecter cette loi qui, elle, n’est pas discutable.
“ Tu as le droit de vouloir la mort de ton ennemi, tu as le droit de penser
à te venger (d’ailleurs tout le monde a parfois de telles idées, et tu
n’es pas un monstre parce qu’elles te passent pas la tête)… mais
tu n’as pas le droit de le faire ”. Apprendre à mettre une distance
entre l’acte et la pensée, c’est sortir des limbes de la toute puissance
imaginaire pour entrer dans le champ de la volonté réfléchie. C’est grandir.
Les établissements scolaires doivent devenir des lieux de droit, et non demeurer
des lieux d’arbitraire. Le droit nous dit que la victime ne peut être en
même temps juge, même quand elle est un enseignant. Sinon, quelle que soit la
décision prise, elle apparaîtra comme une vengeance. Le recours à un médiateur
extérieur doit être systématique en cas de conflit. La justice a compris depuis
longtemps qu’il ne suffit pas de mettre en présence la victime et son agresseur
pour régler les problèmes. Ce n’est pas sans raison que les tribunaux fonctionnent
selon des rituels complexes, respectant des codes précis ; les séances se préparent
minutieusement, on se lève à l’entrée des juges, on ne parle pas n’importe
quand, un greffier prend des notes, une jurisprudence s’établit. Dans un
collège, au contraire, en cas d’agression, le problème est souvent traité
à chaud par le conseiller d’éducation, entre un coup de téléphone et un
carnet de correspondance à vérifier, dans un bureau ouvert à tous vents, sans
la moindre trace écrite ni aucun suivi.
Le caractère libérateur des règles
Pourquoi le règlement intérieur est-il un texte si peu et mal connu ? On ne
s’y réfère qu’en cas de crise et ses principes fondateurs sont ignorés
: ainsi certains élèves pensent-ils que tout ce qui n’est pas explicitement
interdit est autorisé ! Or le règlement intérieur est peut-être plus important
que le “ projet d’établissement ”, qui énonce souvent des généralités
indiscutables. […]
La construction de la loi, au contraire, réclame un effort de longue haleine
: elle exige une clarification permanente du fonctionnement de l’établissement,
la lutte pied à pied contre toutes les formes de violence sur les personnes
y compris celles dont s’accommode trop facilement l’école, comme l’humiliation
entre élèves et le bizutage.
Il ne suffit pas de faire respecter, dans les établissements, les règles élémentaires
du droit ; il faut mettre en place des situations pédagogiques où les élèves
en éprouvent le caractère libérateur…
La coopération sur des projets élaborés en commun (un journal, une pièce de
théâtre, la fabrication d’une montgolfière, un échange avec une classe
à l’étranger, etc.), à condition que chaque participant apporte une contribution
indispensable à son fonctionnement, est, à cet égard, un moyen particulièrement
efficace d’éveiller la conscience sociale.
L’apprentissage de la démocratie
“ Le conseil des élèves ”, proposé par des pédagogues comme Célestin Freinet ou Fernand Oury, est une instance primordiale pour l’apprentissage de la démocratie. Il se révèle particulièrement intéressant quand, à intervalles réguliers, les élèves peuvent se réunir avec leurs enseignants. Selon un ordre du jour établi à l’avance (à partir de la “ boîte à questions et à propositions ”), ils discutent des problèmes de la classe. Et là, tout change. L’enseignant peut dire à un élève : “ Tu ne frappes pas, tu n’injuries pas, tu ne bloques pas le travail. Si tu n’es pas d’accord… tu en parleras lundi au conseil ”. Mais, pour que l’élève accepte ce sursis, il faut qu’il y a ait effectivement un conseil le lundi, qu’il s’y prenne des décisions précises et qu’elles soient réellement appliquées. C’est la mise en place d’une telle procédure, sa régularité et la rigueur de son organisation qui donnent toute sa consistance, toute sa réalité, à l’éducation civique. Que l’enseignant dispose ici d’un droit de veto n’en contredit nullement le principe : l’exercice authentique du pouvoir n’est possible que si chacun comprend qu’il n’est pas synonyme de toute puissance et qu’il existe des limites. L’imposture n’est pas de dire aux élèves : “ L’enseignant a un droit de veto car il est chargé de garantir la sécurité psychologique et physique des personnes ainsi que les objectifs de l’école ” ; c’est de laisser croire que tout est possible, en manipulant habilement le groupe pour faire adopter une décision déjà prise. […]
Retrouver la parole
Prendre la parole au conseil suppose que l’univers scolaire considère
cette parole comme un véritable objet de formation.
Or, aujourd’hui, les élèves parlent peu à l’école : en classe ils
répondent aux questions de l’enseignant ou ils bavardent, dans les couloirs
ils chahutent, dans la cour ils crient ! C’est qu’ils sont souvent
interdits de parole. D’abord parce qu’ils n’ont pas d’endroit
où parler, ensuite parce qu’ils craignent d’être ridicules ou humiliés
par les adultes, enfin et surtout parce qu’une terreur sournoise les paralyse.
Il suffit de visiter un établissement sensible pour s’apercevoir que beaucoup
d’élèves subissent une interdiction implicite de s’exprimer, de finir
leur phrase sans recevoir une injure ou un cartable dans la figure. Assignés
au silence, aux onomatopées, emprisonnés dans des formules stéréotypées, trop
d’élèves ne peuvent jamais parler parce que la domination insidieuse de
quelques caïds s’est installée dans leur classe. Résignés, ils subissent
la loi du groupe, l’omertà. Dans ces conditions, la passage à l’acte
violent constitue un moyen d’expression, une solution, parfois la seule,
pour tenter d’exister et de se faire entendre. […]
La responsabilité de l’école républicaine est considérable. Oser parler,
oser prendre la parole, c’est s’affirmer en tant que sujet, mettre
de l’ordre dans ce que l’on dit, fixer son attention et son intérêt
sur des objets précis. Prendre la parole, c’est s’exposer à autrui
au lieu de s’imposer par la force. Prendre la parole, c’est prendre
le risque – et avoir la chance – d’être jugé, contredit ou conforté.
C’est aussi parier sur l’écoute de l’autre. Autrement dit, c’est
se former à l’exercice de la démocratie. […]
Le rôle de l’école, c’est de donner la parole à ceux qui ne la prennent
jamais, convaincre les silencieux qu’ils bénéficient d’un espace de
sécurité, la classe, où ils peuvent enfin parler à haute voix sans subir réprimandes,
moqueries et jugements à l’emporte-pièce. On doit leur prouver qu’ils
ne seront pas coupés avant la fin de leurs phrases, que leurs mots ne seront
pas interprétés, déformés, répétés au conseil de classe ou à leurs parents.
L’école ne retrouvera sa dignité et ne sera respectée que si elle est à
la fois lieu d’erreur possible et de parole exigeante.
Cette entreprise suppose des dispositifs pédagogiques précis, utilisés de manière
régulière et obstinée : le “ quoi de neuf ? ” à l’école primaire
où les enfants s’expriment librement tous les matins ; le “ quart
d’heure méthodologique ” du lundi au cours de français en troisième,
où les élèves expliquent leurs difficultés à apprendre leurs leçons ; la pratique
systématique du récit qui permet de transformer les faits en événements et d’interroger
le point de vue de celui qui parle ; “ l’heure du conte ” en
maternelle ; la préparation d’un exposé en petits groupes ; la description
d’un tableau impressionniste ; l’organisation d’un débat sur
un livre ; la reformulation systématique et bienveillante de ce que dit l’élève
(“ si j’ai bien compris ce que tu as dit, c’est… ”
et tout de suite l’élève se sent intelligent !) ; la mise en place de rituels
de prise de parole avec un président de séance, un secrétaire et un mémoire
écrit des débats, etc.
Paradoxalement, l’écrit peut être un bon moyen d’accéder à la parole.
Le pédagogue polonais Janusz Korczak, qui avait fondé des orphelinats à Varsovie,
nous en fournit l’exemple. Korczak récupérait la plupart de ses enfants
dans le rue. Pour les empêcher de se livrer à leur principale occupation, la
bagarre, il avait d’abord tenté de les raisonner, puis menacé de les sanctionner.
Mais ni l’appel à la raison ni la menace n’avaient réussi à venir
à bout de la violence. Korczak eut alors l’idée géniale d’une règle
toute simple : “ Tout le monde peut taper sur qui il veut, mais à une condition
: le prévenir par écrit vingt-quatre heures à l’avance ! ”. Il inventait
ainsi le sursis à l’acte, procédure intelligente et démocratique. Il installa
dans l’orphelinat de Varsovie la “ boîte des bagarres ”, une
boîte aux lettre où les gosses déposaient aussi bien des mots d’insulte
que des rendez-vous pour régler leurs comptes. Par ce système, petit à petit,
les enfants prennent goût à l’écriture. Ils apprennent à lire les réponses
aux lettres de griefs, à réfléchir avant de cogner, à constater que beaucoup
de motifs de bagarre n’existent plus après une bonne explication, et que
finalement, la bagarre est une perte de temps et d’énergie. La violence
diminue d’une manière extraordinaire, en même temps d’ailleurs que
la pratique de l’écrit se met à augmenter. […]
Notes de lecture de Philippe Lebailly
Repères et Actions, n°26, Juin 1998